• "Notorious" - Hitchcock - Part III





       La subtile profondeur des nombreuses scènes à deux démontre la variété du style hitchcockien : tantôt l'auteur utilise des plans fixes assez simples quand il veut mettre en valeur l'importance du dialogue (scène de l'hippodrome où les héros, se sachant observés, doivent sourire même si leurs paroles mutuelles les blessent cruellement, scène du banc où Devlin s'acharne sur Alicia la croyant alcoolique alors qu'elle est empoisonnée et qu'elle a renoncé à lutter), tantôt il recourt à une technique très sophistiquée de plans séquences se développant au plus près des acteurs (La longue scène vendue sous le titre du plus long baisé de l'histoire du cinéma et où Chabrol a bien vu, dès 1957, qu'il s'agissait d'une confrontation d'épiderme montrant qu'il n'existe encore qu'un amour superficiel ; à comparer par exemple avec le baiser dans la cave, ou la longue scène des retrouvailles finales dans la chambre traitée comme un mélodrame du muet avec contrastes de clairs-obscurs).




       Dans les rares scènes à multiples personnages, Hitchcock donne libre cours à sa virtuosité à la fois sur la construction du suspens (scène de la réception avec montage parallèle entre, d'une part, la cave avec la découverte de la bouteille de vin et, d'autre part, le salon où la diminution progressive des bouteilles de champagne indique que le maître de maison devra bientôt visiter la cave, ou la descente de l'escalier menacée par les questions des espions et l'attitude de Claude Rains) et sur celui de l'élaboration des mouvements d'appareils spectaculaires (Présentation de Mme Sebastien prise à mi-escalier, traversant l'ombre et apparaissant menaçante au premier plan, plan à la grue dans la réception et aboutissant sur la main de Alicia refermée sur la précieuse clé de la cave).



    NOTORIOUS (1946) -
    Alfred Hitchcock


    Par Alexandre Fontaine Rousseau

       «Dans les films, habituellement, quand des espions veulent se débarrasser de quelqu'un, ils ne s'encombrent pas de précautions; ils le tuent d'un coup de revolver ou l'emmènent en voiture pour l'abattre à l'écart d'une habitation, ou encore ils laissent son cadavre dans une voiture qu'ils précipitent de très haut pour simuler un accident. Au lieu de cela, j'ai voulu montrer des méchants qui se conduisent d'une façon raisonnablement méchante.» - Alfred Hitchcock (discutant de Notorious avec François Truffaut)

       Dans Psycho, Norman Bates ressuscite dans son état avancé de schizophrénie sa vieille mère morte depuis belle lurette. Il s'agit là d'une fascinante perversion d'un thème cher à Alfred Hitchcock, celui de la mère castratrice. Cet archétype est déjà bien en place en 1946. Lorsqu'Alfred Hitchcock proposa en 1944 un scénario de Ben Hecht dont le fameux MacGuffin serait l'uranium nécessaire à la fabrication d'une bombe atomique, les producteurs trouvèrent l'idée d'une «bombe atomique» tellement tirée par les cheveux qu'ils abandonnèrent le projet. Le film en question, Notorious, sera l'un des succès majeurs de la période noir et blanc du maître du suspens. Il faut dire que, comme c'est l'habitude chez Hitchcock, l'intérêt matériel des personnages demeure secondaire à un drame humain sordidement comploté. «L'histoire de Notorious, c'est le vieux conflit entre l'amour et le devoir», dira Hitchcock à son confrère François Truffaut.

      Bien qu'il n'atteigne pas les mêmes sommets que certains des classiques les plus vénérés de ce véritable monument du septième art qu'est Alfred Hitchcock, Notorious demeure un exemple probant de l'emprise totale qu'avait le mythique réalisateur sur les rouages du cinéma. Voici le modèle Hitchcockien distillé à sa plus pure essence. Notorious fonctionne parce qu'il élimine tout élément superflu, se concentrant à ériger autour de ses personnages une cage étouffante de laquelle il semble tout bonnement impossible de s'échapper. Notorious s'amuse à faire languir le spectateur pour mieux établir la cruelle logique de ses dilemmes. Tant et si bien que lorsque le suspens s'installe, c'est pour ne plus nous relâcher jusqu'à une autre splendide finale coupe-gorge où le montage cinématographique nous prouve une fois de plus que le temps est véritablement une matière élastique.

       Pourtant, Notorious n'est à la base qu'un triangle amoureux. Durant la période de l'après-guerre, un agent secret américain (Cary Grant) s'éprend de la fille d'un sympathisant nazi (Ingrid Bergman). Celle-ci est cependant convoitée par les services secrets afin de charmer et de soutirer des informations à un homme qui l'aimait passionnément il y a de cela fort longtemps (Claude Rains). D'emblée, l'étau se resserre sur nos héros lorsque la nature même de leur mission rend précaire le statut de leur relation. Le professionnalisme du personnage de Cary Grant l'emporte sur ses sentiments. Dans un premier temps, il laissera donc filer la femme qu'il aime afin de servir sa patrie.

       Comme d'habitude, le sens du cadrage d'Hitchcock révèle un raffinement fascinant. Bien entendu, le maître est un styliste inspiré, capable de matérialiser en d'éloquentes séquences plusieurs sensations psychologiques. Cependant, son sens visuel évocateur est d'abord au service de la narration, car le cinéma d'Hitchcock parle d'abord en images. Les dialogues sont un luxe qu'il se permet, mais dont ses films pourraient aisément se passer. En ce sens, il incarne le cinéma à l'état pur. Le suspens prenant qu'il arrive à créer à l'aide d'une simple clé et d'une bouteille de verre brisée relève de l'exploit.

       Dans le domaine technique, Hitchcock est carrément en avance sur son temps. Toutefois, c'est sa direction d'acteur qui vole la vedette. Tandis qu'Ingrid Bergman est formidablement déchirée, Cary Grant demeure somptueusement au-dessus de ses émotions. Néanmoins, c'est le personnage plus fragile de Claude Rains qui s'avère aussi le plus triste. Il sera en fin de compte victime de son amour et de sa confiance, alors que son rival lui volera sa femme dans une volte-face fatale. Abusé par tous et écrasé du début à la fin par une mère machiavélique à souhait, le pauvre homme laisse s'échapper la femme de sa vie tandis que, dans sa demeure, ses complices comprennent la nature de la partie qui vient de se jouer. Ils l'appellent froidement. Rains échange un regard terrorisé, typiquement hitchcockien, avec la caméra. Il remonte lentement les escaliers en sachant pertinemment bien qu'il avance vers sa propre mort. Nous le savons aussi. Le film se termine à cet instant crucial où tout s'effondre.


    Pour la suite ..
    Cliquez ci-dessous ...




    Mandragaure


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :